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Chroniques
récital Louis Schwizgebel
Holliger – Liszt – Ravel – Schubert
Né à Genève en 1987, Louis Schwizgebel s’est fait connaître d’un large public voilà quelques mois, après avoir gagné le deuxième prix du Concours international de piano de Leeds (Angleterre) que TV BBC Four et Radio BBC 3 retransmettaient en direct. Aujourd’hui, il présente Poems, un programme d’inspiration littéraire qui regroupe quatre compositeurs joués sur Steinway D : Schubert, Liszt, Ravel et notre contemporain Holliger.
En 1908, pour son triptyque éponyme, Maurice Ravel (1875-1937) pioche trois petits textes fantastiques dans l’ouvrage posthume d’Aloysius Bertrand paru en 1842 et considéré comme fondateur de la poésie en prose. « Tout le monde a joué Ma mère L’Oye, écrit Marguerite Long, mais on compte les virtuoses qui peuvent prétendre avoir Gaspard de la nuit dans les doigts. » Louis Schwizgebel n’est pas loin d’en faire partie tant son jeu apparaît d’emblée maîtrisé. Ondine s’avère tendrement mystérieux, d’une douceur sans mollesse puisque précision et maintien sont convoqués. À l’inverse du son maniéré ou étriqué qu’on connaît chez d’autres, c’est une émouvante profondeur de ton qu’on rencontre ici. Ni tape-à-l’œil ni superficiel, Le Gibet offre rondeur et onctuosité à une pièce dépouillée, résignée, fataliste peut-être mais jamais macabre. Scarbo allie fluidité et invective, provoquant l’écoute d’une façon originale. Il est sûr que le pianiste n’est pas un jeune phénomène de la foire à l’épate mais un artiste dont on perçoit la personnalité sinon la pensée.
Au centre du premier livre des Années de pèlerinage (Première année : Suisse, 1855), La vallée d’Obermann s’inspire d’un roman de Pivert de Senancour et d’un poème de Byron. « Grâce à la poésie et à la musique, commente Gabrielle Oliveira Guyon dans la notice du disque, Liszt se penche sur sa propre existence et permet alors à son âme de s’exprimer, en préfaçant la partition par cette citation de Senancour : Que veux-je ? Qui suis-je ? » Le pianiste aborde les premières minutes avec des demi-teintes très travaillées, puis délivre des contrastes assez cinglants aux deux tiers du morceau. Le jeu respire sans se pâmer, et semble au contraire assez ténu pour éclater dans la lumière finale.
Heinz Holliger (né en 1939) découvre la poésie de Georg Trakl à l’adolescence mais attend quelques années encore avant de chercher des analogies musicales. À partir de la figure d’un être pur symbolisant l’enfance fauchée par la mort, il écrit les trois nocturnes qui forment Elis (1961/1966). Après le paisible Elis, wenn die Amsel im schwarzen Wald ruft, Dieses ist dein Untergang d’une minute trente, survient, plus vif et d’une sauvagerie mordante, Blaue Tauben, Trinken nachts den eisigen Schweiß, Der von Elis‘ kristallener Stirne rinnt, à peine plus long. Quant à lui, Ein goldener Kahn, Schaukeit, Elis, dein Herz am einsamen Himmel rappelle le sérialisme des années soixante, hérité de Webern.
Plus de la moitié de l’héritage de Liszt (1811-1886) consiste en transcriptions, paraphrases et arrangements d’œuvres d’autres compositeurs. En 1838, il transcrit notamment trois Lieder inspirés à Franz Schubert (1797-1828) par Ludwig Rellstab, Friedrich Leopold et Friedrich Rückert : Ständchen rendu dans une aura d’ivresse et avec une grande précision de la dynamique, Auf dem Wasser zu singen qui gagne en clarté grâce à une virtuosité subtile de l’interprète et Du bist die Ruh, paisible et délicat avant l’arrivée d’une emphase toute lisztienne. Le programme s’achève avec le terrible Erlkönig finement ciselé, dont on admire le lyrisme et le romantisme noir.
LB